15

 

Le temps passait.

Je le ressentais intensément. Je savais que j’écoutais. J’étais là.

Des icônes resplendissaient pour moi dans mon éveil, lumineux comme les yeux d’Esther à l’instant de mourir.

« Serviteur des Ossements, écoute, aurait-elle pu me dire. Serviteur des Ossements, viens, et regarde. »

Tout le monde matériel s’offrait à ma vue, à ma compréhension, sans hâte ni précipitation, tandis que je somnolais, en deuil d’elle, et furieux contre ses assassins.

Esther Belkin était pleurée par des milliers de gens qui ne la connaissaient pas. Son histoire était racontée dans tous les pays. Les adeptes du Temple international de l’Esprit de Dieu, auquel elle n’avait pas adhéré, pleuraient sa disparition.

Son beau-père, Gregory Belkin, homme de haute stature, fondateur du Temple, sanglotait devant les caméras et parlait de sectes, de terroristes, de complots. « Pourquoi nous veut-on du mal ? » demandait-il. Il avait l’œil noir et brillant, les cheveux coupés court, drus comme ceux d’Esther, et une peau presque de la couleur du miel au soleil.

La mère d’Esther fuyait le regard du public. Des infirmières la guidaient à travers les meutes hurlantes des reporters. Avec ses longs cheveux d’adolescente et ses fines mains suppliantes, elle paraissait à peine plus âgée que sa fille.

Les hommes de loi et les dignitaires élus condamnaient la violence.

L’époque était universellement violente. Le vol, le viol et les brutalités physiques étaient présents sous un dais de civilisation et de paix. Des petites guerres organisées se déroulaient constamment : les gens se battaient à mort en Somalie, en Afghanistan, en Ukraine. Les âmes des morts enveloppaient la terre comme une fumée.

La drogue était un problème grave. Les drogues soignaient. Tuaient. Faisaient du bien. Faisaient du mal. Dans le monde entier, les seigneurs de la drogue se battaient pour leur commerce illégal.

Les sectes faisaient l’objet d’une peur obsessionnelle.

Les sectes existaient pour la paix comme pour la guerre.

Autour de l’assassinat d’Esther Belkin grouillait la querelle des sectes.

Encore et encore, son visage apparaissait sur les écrans de télévision.

Elle qui n’appartenait à aucune organisation était liée à tout : mouvements anti-gouvernement, anti-Dieu, anti-richesse…

Étaient-ce des membres de la secte de son père qui avaient tué Esther ?

On avait entendu Esther avouer en privé que le Temple de l’Esprit de Dieu avait trop d’argent, trop de puissance, trop de maisons à travers le monde. Ou bien étaient-ce les ennemis de Gregory Belkin et de son Temple qui cherchaient, à travers la mort d’Esther, à atteindre le père, à l’avertir, ainsi que ses puissantes cohortes, que son organisation était trop vaste et trop dangereuse ? Mais pour qui ?

J’errais, j’observais, j’écoutais ; je savais ce que savaient les gens.

Les visages des Eval – Billy Joël, Doby, et Hayden – parurent sur le devant de la scène. Ces hommes qui avaient tué Esther Belkin appartenaient-ils à une organisation secrète ? On parlait de « survivalistes » clandestins, vivant dans les bois, entourés de barbelés et de chiens féroces, qui se méfiaient de toute forme d’autorité.

Les frères Eval provenaient-ils d’une organisation de ce type ?

De sa voix douce et prenante, Gregory Belkin parlait de complots visant tous les peuples qui craignaient Dieu. L’innocence d’Esther interpellait le ciel. Terroristes, diamants, fanatiques – ces mots entouraient le bref éclat du visage et du nom d’Esther.

Mais moi, pourquoi m’étais-je réveillé de mon profond sommeil pour me retrouver au côté de Billy Joël, Hayden et Doby Eval, témoin horrifié de leur crime ?

J’avais perdu le goût d’errer, d’exister, de haïr. Je voulais utiliser pleinement mon cerveau libéré de la chair et projeté dans l’éternité, mon esprit qui avait pris des forces à chaque nouvel éveil, avait emporté avec lui dans l’obscurité non seulement l’expérience mais l’émotion, peut-être même une certaine résolution.

Un maître donnerait un sens à mon énergie grâce à ses réponses, à ses réactions, et à la vitalité de sa volonté.

Cependant, une question me tourmentait. Oui, j’étais revenu et je le désirais ardemment. Mais n’avais-je pas fait certaines choses afin de m’assurer que jamais je ne reviendrais ?

Si je le souhaitais, je devais pouvoir me rappeler ces choses. Oublie le monde, ses splendeurs et ses pièges ! J’étais Azriel, et Azriel devait pouvoir se rappeler !

J’avais tué des maîtres.

J’aurais pu me souvenir de plus de mages que je n’en ai décrits ici. J’aurais pu à nouveau sentir les effluves du camp mongol, le cuir, les éléphants, l’huile parfumée – un scintillement de lumières sous la lourde soie, l’échiquier renversé et les minuscules pièces d’or et d’argent ciselés roulant sur un tapis fleuri.

Des cris d’hommes, aussi : Détruisez-le, c’est un démon ! Enfermez-le dans les ossements ! Puis une succession de fenêtres à Bagdad dominant une bataille. Rentre dans les ossements ! Démon de l’enfer ! Un château près de Prague. Une pièce glacée tout en pierres, très haut dans les Alpes. Et peut-être plus encore.

Ce serviteur ne sert plus !

Oui, j’avais prouvé que je pouvais tuer n’importe quel mage.

Alors où était la conscience sournoise qui m’avait amené ici, à cette démonstration de puissance ?

Oh, j’aurais pu prétendre que je détestais redevenir conscient et renoncer à la vie mais je ne pouvais pas oublier les yeux d’Esther, la somptueuse vitrine de la Cinquième Avenue, le moment où la chaleur avait traversé les semelles de mes chaussures, ni ce brave homme qui m’avait entouré de son bras !

J’étais curieux et libre ! Pris dans une orbite, j’étais lié à ces événements étranges. Mais aucun seigneur ne me gouvernait.

Esther me connaissait, mais elle ne m’avait pas appelé. Quelqu’un l’avait-il fait pour elle, quelqu’un à qui j’aurais déjà fait défaut ?

Deux nuits s’écoulèrent en temps réel avant que je ne prenne conscience d’être éveillé, volant dans les airs : l’ange de puissance, l’ange du mal, qui sait ?

Voici ce que je vis.

Le sortilège de Babylone
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